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Princes et princesses d'Europe
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28 janvier 2018

28 janvier 1393: la bal des Ardents

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Charles VI et Isabeau de Bavière 

Le 28 janvier 1393, à l'occasion du remariage de l'une de ses demoiselles d'honneur, Catherine l'Allemande, veuve du sire de Hainceville avec Etzel d'Ortenburg, la reine Isabeau organise un bal masqué à l'hôtel Saint-Po, demeure royale située à Paris sur le bord de la Seine. La journée se déroule gaiement en fêtes et banquets. Toute la cour a été invitée aux festivités qui se poursuivent le soir par un bal organisé à l'hôtel de la Reine-Blanche dans le bourg Saint-Marcel, où la cour dispose d'hôtels de plaisance appelés « séjours ».

Bal-Ardents

 Représentation du « Bal des ardents ». Miniature attribuée à Philippe de Mazerolles, tirée d'un manuscrit des Chroniques de Froissart. British Library, Harley 4380, fo 1.

À l'occasion d'un remariage, comme dans le cas de Catherine l'Allemande, il est de coutume d'organiser des mascarades ou charivari, caractérisés par « toutes sortes de frivolités, déguisements, désordres et jeux d'instruments bruyants et dissonants accompagnés de claquements de cymbales ». Les nobles les plus proches du roi, les ducs d'Orléans, du Berry et de Bourgogne sont présents à l'événement. Après la présentation des musiciens, ceux-ci commencent à jouer. Les convives se mettent à danser au son des trompettes, des flûtes et des chalumeaux et d'autres instruments de musique. Ainsi débute le charivari.

Sur une idée de Hugonin de Guisay, le roi et cinq autres de ses compagnons (De Guisay, Jean III comte de Joigny, Yvain de Foix, Ogier de Nantouillet et Aymard de Poitiers) décident d'animer la fête en se déguisant en « sauvages ». Des costumes en lin sont cousus directement sur eux, puis enduits de poix recouverte de plumes et de poils d'étoupe, dans le but d'apparaître « poilus et velus du chef jusques à la plante du pied ». Des masques composés des mêmes matériaux sont placés sur leurs visages pour dissimuler leur identité à l'assistance. Certains chroniqueurs comme Froissart rapportent qu'ils se lient ensuite les uns aux autres au moyen de chaînes. Seul le roi n'est pas attaché, ce qui lui sauvera sans doute la vie. Des ordres stricts interdisent en outre que les torches de la salle soient allumées, et que quiconque y pénètre pendant les danses, afin de minimiser le risque que ces costumes fortement inflammables ne prennent feu.

Le duc d'Orléans, frère du roi, arrive par la suite accompagné de quatre chevaliers munis de six torches, sans avoir eu vent de la consigne royale. Ivre, il est accompagné de son oncle, le duc de Berry, avec qui il a déjà passé une partie de la soirée dans une taverne. La noce bat son plein lorsque les lumières s'éteignent et que les six sauvages se glissent au milieu des invités, gestuelles et cris à l'appui. D'abord surpris, les invités se prennent au jeu. L'historien Jan Veenstra explique que les six hommes hurlaient comme des loups, lançant des obscénités à la foule et invitant l'audience à tenter de deviner leur identité dans une « frénésie diabolique ». Intrigué par les danses de ces étranges sauvages, le frère du roi s'empare d'une torche pour mieux voir qui se cache sous les masques. Mais le duc d'Orléans s'approche trop près des déguisements et les costumes en lin prennent feu immédiatement alors que les fêtards ne peuvent se dépêtrer à cause de leurs chaînes.

603px-Fire_carles6Bal des ardents par le Maître Antoine de Bourgogne (années 1470), montrant un danseur dans le tonneau de vin au premier plan, Charles s'abritant sous les jupons de la duchesse au milieu à gauche, et des danseurs « ardents » au centre. Chroniques de Froissart, BNF, vers 1470

Lorsqu'elle se rend compte que le roi figure parmi les sauvages, la reine Isabeau s'évanouit. Le roi ne doit son salut qu'à la présence d'esprit de sa tante Jeanne de Boulogne, duchesse de Berry, alors âgée de quatorze ans, qui l'enveloppe immédiatement de sa robe et de ses jupons pour étouffer les flammes. Le sire Ogier de Nantouillet réussit à se libérer de sa chaîne et se jette dans un cuvier servant à rincer les tasses et les hanaps. Yvain de Foix, quant à lui, tente d'atteindre la porte où deux valets l'attendent avec un linge mouillé, mais transformé en torche vivante, il n'y parvient pas. La scène vire rapidement au chaos, alors que les compagnons hurlant de douleur dans leurs costumes, et que certains membres de l'assistance, également victimes de brûlures, tentent de secourir les infortunés. L'événement est relaté avec une grande précision par le moine de Saint-Denis Michel Pintoin, qui écrit que « quatre hommes sont brûlés vifs, alors que leurs organes génitaux tombent au sol, générant un fort épanchement de sang ». Seuls deux danseurs survivent à la tragédie : le roi et le Sieur de Nantouillet, tandis que le comte de Joigny meurt sur place, et qu'Yvain de Foix et Aimery de Poitiers agonisent de leurs brûlures durant deux jours. L'instigateur de la mascarade, Hugonin de Guisay, survivra un jour de plus, « en maudissant et insultant ses camarades, les morts comme les vivants jusqu'à son dernier souffle ».

Source: ExterneLe Bal des ardents, miniature tirée d'un manuscrit des Chroniques de Froissart. 

L’Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois, par de Barante (1839) nous apprend que « la reine mariait une dame allemande de sa maison qu’elle honorait de toute sa faveur ; le roi, saisissant cette occasion de divertissement, voulut faire les noces à l’hôtel Saint-Paul ; son frère, ses oncles et leurs femmes furent conviés ; on dansa tout le jour. Il y avait un écuyer de l’hôtel, nommé Huguet de Guisay, que le roi avait fort en gré, parce qu’il était grand inventeur de toutes sortes d’amusements ; mais les hommes sages le méprisaient beaucoup, car il corrompait toute la jeunesse de la cour et lui enseignait mille débauches. Vers la fin de la soirée, ce sire de Guisay imagina une mascarade.

La mariée étant une veuve, sa noce, selon l’usage, était une sorte de charivari, et tout s’y passait en joyeux désordres. Le roi, quatre jeunes chevaliers, et Huguet de Guisay, se déguisèrent en sauvages. Ils s’étaient fait coudre dans une toile de lin qui leur dessinait tout le corps. Cette toile était enduite de poix-résine pour faire tenir une toison d’étoupes de lin qui faisait paraître ces sauvages velus de la tête aux pieds. Ils entrèrent en criant et en dansant, conduits par le roi et masqués de manière à n’être pas reconnus ; on avait fait défendre que personne ne se promenât dans la salle en portant des torches ou des flambeaux. Le roi courut tout de suite à sa jeune tante, la duchesse de Berry, pour la tourmenter, et les autres masques divertissaient l’assemblée par leurs danses et leurs contorsions. »

Source: ExterneVue de l'hôtel Saint-Pol lors de l'entrée de la reine Isabeau en 1389. Manuscrit des Chroniques de Froissart

Le lendemain, la nouvelle fait le tour de Paris et la foule se dresse devant l'hôtel Saint-Pol, où réside le roi. Les gens ne comprennent pas que l'on ait permis à ce roi, à l'esprit déjà fragile, une telle mascarade. La rumeur veut en outre que ce soit après avoir rencontré un homme fou, vêtu tel un sauvage, que le roi eut son premier coup de folie l'année précédente, et tua quatre de ses compagnons. Les habitants de Paris, courroucés par l'événement et le danger auquel leur monarque a été exposé critiquent vivement les conseillers de Charles. Une grande agitation traverse la ville lorsque la population menace de déposer les oncles du roi, et de tuer les courtisans aux mœurs les plus dissolues et dépravées. Fortement affectés par les protestations populaires, et inquiets du risque d'une nouvelle révolte de la Harelle, au cours de laquelle les Parisiens avaient menacé les collecteurs d'impôt avec des maillets onze ans plus tôt, les oncles du roi le convainquent de se rendre à Notre-Dame de Paris pour se montrer au peuple, et faire pénitence en leur compagnie. Le duc d'Orléans, présenté comme le principal responsable de la catastrophe, donne quant à lui des fonds pour construire une chapelle à l'église de l'ordre des Célestins. Une messe pour le repos des quatre âmes y est alors dite quotidiennement.

Les chroniques de Froissart qui relatent l'incident présentent clairement le frère du roi Charles, le duc d'Orléans comme en étant le seul responsable. Il écrit ainsi : « Ainsi se dérompit cette fête et assemblée de noces en tristesse et ennui, quoique l'époux et l'épouse ne le pussent amender. Car on doit supposer et croire que ce ne fut point leur coulpe, mais celle du duc d'Orléans, qui nul mal n'y pensoit quand il avala la torche. Jeunesse lui fit faire ». La réputation d'Orléans est ainsi fortement entachée par la tragédie, d'autant qu'il a précédemment fait l'objet d'accusations de sorcellerie après avoir recouru aux services d'un moine apostolique pour enchanter une bague, une dague et une épée. 

Quelques jours après le drame, très choqué, Charles VI publie une ordonnance par laquelle il confie, en dehors de ses périodes de lucidité, la régence à « son cher et très aimé frère Louis duc d'Orléans, comte de Valois et de Beaumont, tant pour le bien, sens et vaillance de lui comme pour la très singulière, parfaite loyale et vraie amour qu'il a toujours eue à nous et à nos enfants ». Mais le duc d'Orléans étant jugé trop jeune, la régence échoit à ses oncles les ducs Jean de Berry et Philippe le Hardi. Charles VI n'a pas encore vingt-cinq ans et, comme le remarque le connétable de Clisson, il y a alors trois rois en France. En 1394, le duc de Bourgogne est devenu le personnage dominant du pouvoir royal, il en est notamment le principal diplomate.

L'hôtel de la Reine-Blanche sera quant à lui démoli sur ordre du roi et la rue de la Reine-Blanche ouverte à sa place.  Il sera reconstruit plus tard à la fin du XVe siècle ou au début du XVIe sous le nom du château de la Reine-Blanche situé entre les actuelles rues Berbier-du-Mets et Gustave-Geffroy. Il sera alors occupé par la famille Gobelin qui le fait édifier, et qui établira à proximité la manufacture des Gobelins.

L'épisode du Bal des ardents renforce l'impression de la population que la cour s'enfonce dans ses extravagances et des mœurs corrompues, autour d'un roi à la santé délicate et incapable de régner. Les attaques de folie de Charles, dont la fréquence augmente à partir de la fin des années 1390, réduisent sa position de monarque à un pur rôle de représentation. En 1407, le duc de Bourgogne Jean Sans Peur, fils de Philippe le Hardi, fait assassiner son cousin le duc d'Orléans pour « vice, corruption, sorcellerie, et une longue liste d'offenses publiques et privées ». À la même occasion, la reine Isabeau est accusée d'être la maîtresse du frère de son époux. L'assassinat du duc d'Orléans marque le début de la guerre civile entre les Bourguignons et les Armagnacs qui se poursuivra pendant plusieurs décennies. 

 

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